Voilà très certainement le moment fort de notre voyage au Cambodge. Nous ne pensions pas venir à Battambang mais les multiples commentaires positifs de sa campagne trouvés sur Internet nous ont fait changer d’avis. Nous prenons nos billets de bus vers 21h pour le lendemain matin et contactons un certain Sam par mail (contact trouvé dans un forum de voyageur et son vrai prénom est Sarom, Sam étant son nom de famille).
Tout ce qui s’est passé ensuite n’a été qu’une succession de décisions judicieuses de dernières minutes. Tout d’abord, on n’aime pas avoir de guide mais on décide tout de même de rencontrer ce fameux Sarom Sam, qui semble si différent des autres guides. Il nous présente rapidement sa vision du tourisme: éviter les sentiers battus, côtoyer et respecter la population. Il parle franchement, ne nous force en rien et propose des circuits qui sortent de l’ordinaire. Enfin, il a à peu près notre âge.
Découverte de la campagne et des métiers traditionnels
On décide à notre grande surprise de se joindre à lui et à un couple de français accompagnés de leur petite fille de 5 ans, pour l’après-midi. Ce gentil couple nous invitera d’ailleurs le restaurant le soir car ils semblent aimer notre voyage, encore merci à eux. Au programme: visite des rizières puis d’une ferme de lotus pour ensuite finir par l’observation du “dortoir” d’aigrettes et de cormorans. Les oiseaux arrivent par centaines juste avant le couché du soleil, c’est superbe. Bien que ce soit la saison sèche, la campagne de Battambang est verte grâce aux eaux du lac où sont cultivés ces magnifiques lotus. Il y a ici 3 récoltes de riz par an, il y a de belles rizières bien vertes.
Lors de notre promenade en bateau dans les fermes de lotus, Sarom nous lance en rigolant et un peu en nous défiant : “Si vous voulez, on dort ici demain soir (en désignant une cabane de pêcheur sur le lac) !”. Élise sans attendre lui répond OK. Il est surpris mais accepte avec joie le défit qu’on lui lance. Il ne l’a jamais proposé à personne et aucun touriste n’a jamais dormi ici. Voilà, Sarom est un guide comme ça, il n’a pas peur de l’imprévu.
Le lendemain matin, nous partons tous les 3 (Sarom, Elise et moi) à moto pour découvrir l’artisanat local. Nous commençons par la visite d’une fabrique de nouille de riz, du boulodrome (de vrais champions), du forgeron puis nous regardons la fabrication des bamboo cake (kralaan). On met du riz gluant, du lait de coco et du soja noir dans un tronc de bambou et on cuit le tout à petit feu durant 1h30/2h. C’est bon, pas très sucré mais ça calle pour un moment. On continue par la visite de la pagode Wat Samrong Knong (mémorial du génocide khmer rouge), la fabrication du saké puis du pâté de poisson (prohoc). Ce dernier lieu sent assez mauvais mais il est incroyable de voir tout ce qu’ils font avec un simple poisson : la tête pourrie est utilisée pour faire la sauce « nuoc man » des nems, le gras est revendu aux instituts de beauté français tel qu’Yves Rocher, les arrêtes servent à faire des cubes de cuisson (utilisé pour l’amok par exemple) et la chair sert à faire du pâté. S’ensuit la visite du charpentier bateau, l’observation de la fabrication de l’encens, des galettes de riz (pour les rouleaux de printemps), des pates de mangue et de bananes séchées.
Pour terminer cette matinée chargée, nous sommes contents de voir le lieu de fabrication des feux de cuisson améliorés du GERES, projet que nous avons choisi d’aider en compensant notre voyage en Co2. Pour plus d’infos, voir notre article : “Touristes mais responsables”. Nous verrons ces feux ingénieux dans de nombreuses maisons et restaurants de rue, ils sont vendus 2,5 dollars.
L’après-midi, nous visitons une vieille maison de plus de 100 ans, sa très gentille propriétaire parle français. Nous traversons ensuite la campagne à moto. Nous visitons un superbe verger, observons en chemin un arbre énorme où sont logées de nombreuses roussettes avant de finir devant une grotte où des milliers de chauves souris sortent à la tombée de la nuit. C’est un lieu que seul Sarom connait, nous sommes tout seuls et situés juste devant la sortie de la grotte. C’est très impressionnant, elles passent à quelques millimètres de nous sans nous toucher et forment comme une fumée noir qui file à l’horizon.
Nuit inoubliable chez l’habitant
Nous prenons ensuite la route en direction de la ferme de lotus, 20km à faire alors que la nuit tombe et que mon phare éclaire simplement les bouteilles d’eau du panier de devant !! Nous sommes invités à manger chez un cultivateur de lotus. Il nous accueille extrêmement généreusement avec son frère, sa femme et ses 2 adorables petites filles (5 ans et 2 ans). On mange bien, on boit et on discute par l’intermédiaire de Sarom. On apprend énormément de choses sur leur condition et leur mode de vie. C’est vraiment un moment magique pour nous et pour eux. Ils nous affirment que c’est la première fois que des touristes viennent manger et dormir par ici. On est fier, vraiment heureux et un peu ému. Le père nous raconte, qu’au village, le palu sévit et que tous les pêcheurs l’ont, dont lui. Tristement, il nous révèle que leur fils de 3 ans l’a attrapé et en est mort récemment. Chamboulés, nous écoutons le récit de cette famille qui essaye de s’en sortir au quotidien. Ils n’ont rien, même le terrain où ils ont construit leur maison peut être réquisitionné par l’état à tout moment sans aucun dédommagement.
Il fait trop noir pour prendre la barque et aller dormir chez le pêcheur sur le lac. On décide d’installer notre moustiquaire et une paillasse sous une hutte sur le bord du lac en face de la maison où l’on a été accueilli, pour passer une nuit fantastique tous les 3. Sales, habillés comme la journée et à même le sol, on jubile, on est bien.
On se lève avec le soleil et la vie du village qui commence. Après un petit déjeuner de nouilles sur le marché, la famille nous prête sa barque pour aller sur le lac à la rencontre des familles. Sarom semble encore plus nul que moi pour ramer, on avance difficilement mais on rigole, c’est le principal. Une vieille femme nous accueille chez elle. Elle prépare les poissons pêchés le matin. Nous parlons avec elle environ une heure, elle nous raconte son métier, sa vie, sa famille… Comme la veille au soir, on constate que ces gens sont d’une richesse humaine incroyable mais aussi d’une extrême pauvreté financière. Ils vivent au jour le jour, sont endettés, ne peuvent faire aucune économie et travaillent donc toute leur vie.
De retour auprès de la famille, ils nous offrent un dernier repas avant de partir. Nous avons été si bien reçu (repas de viande, riz, légumes, fruits, boissons en cannettes…) que nous souhaitons les dédommager. Evidemment, ils refusent, mais nous réussissons à leur donner un petit quelque chose en précisant que c’est pour les enfants.
Cette magnifique aventure de rencontres imprévus n’aurait pas été possible sans ce petit brin de folie de Sarom. Sarom est un cambodgien (maintenant français) réfugié en France à l’âge de 2 ans suite à l’arrivée des khmers rouges. Il est revenu dans son pays natal depuis seulement 6 mois pour proposer une autre forme de tourisme, loin des hôtels de luxes et des sentiers balisés. Durant ces 2 journées, c’était un peu comme si on avait été avec un ami du pays avec qui on passait du bon temps plutôt qu’un guide traditionnel. Nous sommes passés plusieurs fois chez lui pour grignoter, boire ou même nous doucher.
Sarom, merci pour tout ça !